Surprise lors de notre traversée sur les îles Canaries

Surprise lors de notre traversée sur les îles Canaries

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Jour 1

Nous sommes le mercredi 18 novembre et nous quittons La Linéa de la Concepcion à côté de Gibraltar pour rallier Lanzarote, dans les îles Canaries. Cap au 250 ° pendant 12 milles nautiques, puis au 270° pendant 10 milles nautiques. Notre but se trouve au 225 ° à un peu plus de 600 milles.

Nous ressentons toujours ce mélange d’émotions en nous. Un mélange d’appréhension, de peur, de joie et d’excitation en avançant dans ce rêve qui nous est propre. Mais, avec le temps et nos péripéties, les émotions prennent le dessus et ont tendance à étouffer les sentiments positifs. Comment réussir à inverser ces sentiments ? Se détacher de nos mésaventures n’est vraiment pas facile.

Nous sommes accompagnés par un bateau copain. Quel plaisir de partir à deux, de pouvoir échanger par VHF, d’apprendre des autres, de partager ensemble une partie de ce voyage. Et nous devons le dire, dans notre état d’esprit actuel, nous sommes rassurés d’avoir des personnes proche de nous.

Nous partons avec une mer belle et du vent aux alentours de 10 nœuds, puis forcissant à 25-30 noeuds et une mer devenant agitée lors du passage du rail des cargos. Nous sommes sous génois seul, le vent est vent arrière. Le ciel est gris et peu rassurant. Le détroit de Gibraltar est un passage qui a pour effet d’avoir un nombre très important de cargos au même endroit, le seul endroit pour accéder et sortir de la mer Méditerranée avec le canal de Suez. Le nombre de cargos est toujours autant impressionnant que 10 ans auparavant. Se retrouver dans le rail de cargos est toujours un moment un peu tendu, qui nécessite une attention importante. Il est préférable de ne pas s’y attarder et de calculer sa trajectoire afin que le rail soit coupé le plus rapidement possible. Les cargos peuvent atteindre une vitesse 4 fois plus rapide que la nôtre et ils sont bien plus grands que nous, autant dire que nous ne rigolons pas. La technologie a bien évolué ces dernières années, elle facilite énormément la navigation. Lors du passage du détroit, il est également important d’être attentif aux marées. Selon le moment il peut y avoir jusqu’à 2 noeuds contre ou avec nous. Le flux de cargos nous accompagnera tout au long de la nuit et l’un d’eux donnera des sueurs froides à Patrice.

La péripétie de la nuit fût le mode vent, relié à notre pilote automatique, qui a décidé de ne plus fonctionner. Le pilote peut fonctionner sur deux modes: soit nous réglons le cap afin que le pilote suive le cap défini, soit le degré du vent par rapport au bateau. Celui-ci a engendré un empannage intempestif. Heureusement nous étions sous génois seul et le vent aux environs des 15 noeuds. Le problème a été résolu en éteignant et rallumant la centrale de navigation.

Cette première nuit sera assez noire, la lune nous quittera bien trop tôt et nous laissera seuls dans cette obscurité. Le ciel se dégagera par la suite pour nous laisser admirer le champ des étoiles et la danse de certaines d’entre elles. Faites vos vœux !

Une autre danse tout aussi belle est celle du plancton fluorescent à l’arrière du bateau, que nous attendions de revoir avec impatience. Cette danse reste encore discrète pour le moment. Le plancton s’échauffe afin de dévoiler toute sa souplesse, toute sa symphonie, toute sa beauté lors de nos prochaines navigations.

Jour 2

Une belle journée avec un vent plutôt stable, mais une mer encore un peu agitée. Les enfants s’amarinent tranquillement. Ils sont encore couchés la plupart du temps et nous leur donnont des gouttes contre le mal des transports. C’est également le cas pour moi. Patrice égal à lui-même se sent bien.

Dur moment pour moi durant l’après-midi. Je suis triste, des craintes refont surface. Je n’arrive pas à vivre le moment présent, l’anticipation est tellement présente, l’appréhension tellement pesante. Comment reprendre confiance. Il y a beaucoup de doutes, dont certains en lien avec nos enfants. C’est notre rêve, pas celui des enfants, n’est-on pas égoïste ? Certes ils vont beaucoup apprendre, mais est-ce que cela leur correspond. J’aimerais qu’ils puissent exprimer davantage leur ressenti mais ils sont encore trop petits. J’aimerais savoir, le bien être de nous 4 est primordial. Je trouve difficile de voir nos enfants couchés dans le carré, sans pouvoir faire les choses qu’ils veulent. Ce n’est pas ce que je souhaite pour eux. Mais en même temps ils doivent apprendre tellement de ces moments, apprendre que tout n’est pas facile, apprendre la patience, apprendre le calme, éviter les mouvements brusques et diminuer leur impulsivité. Savourer le retour à la normale lorsque le bateau s’immobilise, apprécier les douches chaudes, manger sans que ça bouge. Oui mon cerveau est en perpétuel mouvement comme celui de la mer.

Jour 3

Nous savions que le vent allait être quasi nul à partir du 3ème jour, mais nous avons décidé de partir. Les fenêtres météorologiques devenaient de plus en plus rare et nous savions qu’il allait être impossible de trouver la fenêtre idéale. Le vent mollit, nous n’avancions plus sous voile, nous décidons donc de mettre un moteur en marche et voilà que l’alarme de pression d’huile du moteur bâbord sonne. Les causes possibles étaient le filtre à huile encrassé, mais nous venions de le changer, ou la sonde de pression d’huile défectueuse. Nous décidons de retirer le filtre et quelle ne fût pas notre surprise lorsque nous trouvons une huile grise blanche, signe d’eau dans l’huile. Nous sortons notre pompe à dépression qui permet de vidanger l’huile et là toute l’huile est de la  même couleur. Nous sommes dépités. Nos moteurs n’ont que 100 heures, comment cela peut-il se produire ? Nous sommes dans l’incompréhension totale. Nous appelons notre ami Jean-Marc et il nous parle d’un possible problème avec le joint de culasse. Nous mettons hors service le moteur jusqu’à notre arrivée aux îles Canaries.

Nous n’avions pas fini de régler ce problème de moteur que nous apercevons un aileron noir sur notre bâbord à 30 cm perpendiculaire à notre coque, plus grand qu’un dauphin et qu’un requin. Nous apercevons sous l’eau du blanc et nous savons maintenant que Niue est en train de nager avec une orque. Une agitation se crée à bord, nous sortons nos caméras et nous scrutons tout autour du bateau. Ce n’est pas une orque mais 3, puis 4 et elles finiront par être 6 à évoluer autour de nous. Une nouvelle danse s’offrait à nous. Elles frôlaient la coque, arrivaient à grande vitesse par l’arrière, passaient dessous Niue. Elle faisaient des va-et-vient, tapaient de la queue, sautaient à l’avant du bateau. Leur danse ressemble à celle des dauphins bien que leur poids n’est pas le même, elles évoluent gracieusement et limpidement dans l’eau. Un moment incroyable était en train de se passer. La nature à l’état pur, une réalité majestueuse, un moment de plus qui nous conforte dans notre choix de préserver cette nature.

Ce moment était difficile à savourer pour plusieurs raisons. La première était que nous venions d’avoir le problème moteur et que nous étions bien trop affairés à comprendre le problème et trouver des solutions. Deuxièmement, nous avions eu écho d’attaques d’orques sur des bateaux au large du Portugal et nous ne nous sentions pas trop en sécurité. Avec nos péripéties, pourquoi pas une attaque d’orques ? Un safran cassé ? Une voie d’eau ?

Une journée qui finira avec beaucoup de questionnement, de l’excitation et peu de sommeil.

Jour 4

Le vent est toujours absent, le moteur tribord toujours en fonction et nos oreilles commencent sérieusement à détester ce bruit incessant. Seul avantage c’est qu’il n’y a pas de réglage de voiles et la mer est plate, c’est donc très confortable pour se déplacer, faire la cuisine, jouer avec les enfants et ceux-ci sont en meilleur forme.

La petite frayeur du jour se produisit lorsque nous avons voulu faire les niveaux d’huile du moteur. Pour cela, nous avons éteint le moteur et attendu environ 15 minutes. En ouvrant le bouchon d’huile de l’inverseur, l’huile a débordé, ce qui ne devrait pas arriver à notre avis. Nous avons dû retirer à la seringue quelques millilitres pour pouvoir refermer le bouchon. Est-ce normal ? L’huile se dilate-t-elle avec la chaleur ? A ce jour, nous n’avons pas encore une réponse claire. Patrice doute. Il commence à me dire que l’huile n’est pas non plus bonne, qu’elle ne devrait pas être de cette couleur, ni de cette texture. Nous la comparons avec celle de l’autre moteur. Je la trouve identique mais Patrice doute, je le raisonne. Ces expériences faites ensemble nous rapprochent toujours un peu plus, nous rendent plus fort et maintiennent un équilibre ; pouvoir être fort quand l’autre est plus faible. Notre couple grandit, se renforce et s’accepte. Sans forcément s’en apercevoir nous évoluons ensemble et devenons plus fort, d’autant plus dans des situations complexes.

Nous profitons de notre dernier coucher de soleil en mer. Chaque coucher de soleil est différent, les nuages viennent se poser ici et là et modifier ce moment incroyable. Seul face à cette beauté. Mais ce moment est aussi annonciateur de la nuit qui débute. Va-t-elle être noire ou allons nous être éclairé par la lune ? La nuit nous perdons un sens, notre ressenti n’est plus le même, les vagues nous paraissent plus petites mais à l’inverse leur bruit plus important.  La nuit est aussi un moment pour chacun de nous. Pendant que nos enfants rêvent et que l’autre adulte dort, nous nous évadons dans nos pensées, dans notre solitude, un moment rien que pour nous que nous devons privilégier malgré notre fatigue. Un moment où tu fais ce que tu veux, tu as tes habitudes à toi et personne ne te dit rien. Tu te sens encore plus libre.

Jour 5

Il fait encore nuit, nous apercevons les lumières de l’île de Lanzarote depuis le début de la nuit. Les lumières s’intensifient au même rythme que les milles diminuent. Voir des lumières après plusieurs jours sans voir la terre est toujours un moment excitant, notre intérieur s’agite, et dans notre cas nous pouvons respirer plus calmement, nous détendre toujours un peu plus au fil des heures. Mais voir ces lumières est aussi source de difficultés, il faut apprivoiser leur intensité, les analyser, comprendre à quoi elles correspondent et ne pas confondre une lumière de l’île avec un bateau qui ne serait pas visible sur nos instruments de navigation.

Le jour se lève et nous commençons à distinguer plus clairement les contours de l’île, comprendre à quoi correspondaient les lumières et découvrir un lieu nouveau.C’est un moment fort et difficile à décrire. Nous retrouvons l’élément d’où l’on vient, où nous avons nos habitudes, où nous avons fait nos premiers pas.

Nous nous approchons de la Marina Rubicon où nous avions rendez-vous pour la première révision de nos moteurs, cela tombe bien! Pour la dernière fois de cette navigation, la tension monte. Entrer dans un port avec un seul moteur opérationnel sur un catamaran c’est épique. Avancer tout droit aucun souci, mais dès qu’il s’agit de manœuvrer, c’est impossible. Avec l’aide d’un zodiac et du personnel du port, nous avons fini par nous amarrer au ponton, mais non sans peine.

Nous sommes heureux de voir la terre, soulagés de poser pied à terre, nos tensions se relâchent sous une douche bien chaude. Nous profitons de remercier notre bateau copain de vives voix de nous avoir attendu et soutenu, autour d’un repas et d’échanger nos impressions sur cette traversée.

Nos prochains jours seront consacrés à la remise en état de notre « futur » fidèle compagnon. Se laisser le temps de trouver un équilibre, laisser le temps à Niue de naviguer avec les vagues et non pas contre elles. Nous discutons des prochaines traversées. C’est vrai que pour moi et Naël ce n’était pas tout simple. Ai-je vraiment envie de faire une nouvelle transatlantique ? Est-ce que pour Naël ce ne serait pas trop long au vu des comportements qu’il a eus. Nous allons nous donner du temps, la traversée sur le Cap Vert nous permettra d’y voir plus clair. En attendant, nous souhaitons vraiment prendre le temps pour nous 4, prendre du temps pour se sentir bien et profiter des îles Canaries.

Vivre le moment présent n’est pas chose aisée. Des danses s’offrent à nous tous les jours. Les voyez-vous ?